Download Video

Right-click on the Claverley Church medieval wall paintings presentation in French link and choose ‘save target as / save as’ to download this video

 

Video transcript

Bonjour. Je m’appelle Sarah Goulard, de l’Université de Bristol. Je vais vous présenter les spectaculaires peintures murales de All Saints’ Church à Claverley, dans le Shropshire, en Angleterre. Ce guide vous expliquera les fresques pas à pas lors de votre visite de l’église et vous encouragera peut-être à explorer la campagne du Shropshire. Vous ne serez pas déçus.
L’approche de l’église se fait du côté sud. Sur votre gauche, vous pouvez admirer une maison à colombages datant du moyen âge tardif : l’ancien presbytère.
L’extérieur de l’église est dominé par sa tour. La partie inférieure de la tour date du douzième siècle, attestant l’origine normande de l’édifice. Prenez le temps de vous promener autour de l’église pour vous donner une idée des dimensions et de la structure du bâtiment avant d’entrer par la porte à gauche de la tour.
À l’intérieur de l’église, sur la paroi nord de la nef, surmontant les colonnes rondes de l’époque normande, vous êtes immédiatement confronté à une remarquable frise longue de 15 mètres, représentant des chevaliers au combat. Ces peintures faisaient à l’origine partie d’un programme iconographique plus étendu. Sur la frise, nous trouvons également des arbres stylisés et une bordure décorative rappelant celle de la fameuse tapisserie de Bayeux, broderie datant du 11e siècle qui dépeint l’invasion normande de l’Angleterre en 1066. D’autres peintures se trouvent également dans les écoinçons (les surfaces entre les arches). Ces peintures, ainsi que la frise principale, datent du début du treizième siècle. La partie supérieure fut ajoutée à l’édifice au quinzième siècle.
Le sujet de cette frise – des chevaliers au combat – est unique dans le contexte d’une église en Angleterre. Ailleurs en Europe, il est possible de trouver d’autres exemples d’églises ornées de peintures représentant des sujets apparemment non-religieux, mais c’est chose rare. Les fresques de Claverley sont exceptionnelles de par leur étendue et du fait qu’elles nous sont parvenues dans leur site d’origine, dans une église qui sert toujours de lieu de culte. Les avis sont partagés quant à l’interprétation des peintures, ou même s’il convient de lire la fresque de droite à gauche ou de gauche à droite. Il est toutefois possible d’y identifier un certain nombre d’allusions permettant de formuler quelques hypothèses.

 

En 1902, quand les fresques furent mises à jour lors de la rénovation de l’édifice, les scènes de combat avaient été interprétées comme représentant une vraie bataille – peut-être même la fameuse bataille de Hastings dépeinte dans la tapisserie de Bayeux. Toutefois, l’interprétation généralement acceptée au XXe siècle voyait en la fresque une représentation du combat entre les vices et les vertus, basée sur la Psychomachia, poème latin du cinquième siècle très populaire au Moyen Âge, où les sept vertus s’opposent aux sept vices. Le personnage gigantesque qui tombe de manière dramatique de sa selle pourrait ainsi être le vice Orgueil vaincu par la vertu Humilité. Ceci dit, il n’y a pas sept chevaliers de part et d’autre sur notre fresque, et il n’est pas du tout aisé de distinguer les vices des vertus. Il ne s’agit donc pas d’une illustration littérale du poème. Les fidèles du Moyen Âge pouvaient malgré tout lire la frise comme représentant un combat entre le Bien et le Mal. Comme nous le verrons, une lecture didactique des peintures était également encouragée par un réseau d’allusions à des récits répandus à l’époque.

 

Selon une autre hypothèse, les chevaliers représenteraient les milites Christi, les chevaliers du Christ. À l’époque de la création des fresques, l’image allégorique du soldat du Christ revêtant l’armure de Dieu était bien connue, venant de l’Epître aux Ephésiens, dans le Nouveau Testament. De plus, avec les Croisades, de vrais chevaliers partaient se battre en Terre Sainte pour défendre la Chrétienté, renforçant l’impact du message.

Le guerrier avec un aigle sur son écu pourrait représenter un empereur. Nous pouvons postuler trois candidats : l’empereur Constantin le Grand, dont l’édit, au quatrième siècle, avait imposé la tolérance de la religion chrétienne dans l’empire romain ; l’empereur de Byzance, Héraclius, dont la libération de Jérusalem en l’an 630 fut intégrée à un récit de croisade d’une grande popularité ; enfin, Charlemagne, l’empereur franc du huitième siècle dont l’empire s’étendait sur une grande partie de l’Europe occidentale. Beaucoup de légendes circulaient à propos de Charlemagne, qui était associé tout particulièrement à l’effort de croisade, surtout sur le sol espagnol. Ces références ne s’excluent pas mutuellement ; même au Moyen Âge, il est possible que des lectures différentes des peintures aient coexisté. L’emblème sur l’écu ne nous renseigne pas davantage, dans la mesure où l’héraldique n’était pas utilisée à l’époque de ces empereurs comme mode d’identification. Ceci dit, au treizième siècle, il était impensable qu’un noble, et à plus forte raison, un empereur, n’ait pas d’armoiries. La croix sur l’écu du chevalier derrière l’empereur pourrait faire allusion aux croisades.

Certains détails de la frise font penser aux campagnes militaires de Charlemagne en Espagne. Ce conflit a eu lieu 300 ans avant la première croisade, déclarée en novembre 1095 ; malgré tout, dans l’imaginaire légendaire médiéval, les guerres de Charlemagne en Espagne ont été assimilées au mouvement de croisade. Un incident spécifique a frappé les esprits. En l’an 778, l’arrière-garde de Charlemagne fut massacrée alors que l’armée franque traversait les Pyrénées. Au douzième siècle, l’ennemi, probablement Basque à l’origine, devient Sarrasin, c’est-à-dire musulman, et la prouesse des guerriers chrétiens est immortalisé dans un des chefs d’œuvre de la littérature épique médiévale : La Chanson de Roland.

Les allusions picturales sur les murs de l’église de Claverley puisent à une version de la légende de Roland connue à travers l’Europe et traduite en plusieurs langues : la Chronique du Pseudo-Turpin. Au treizième siècle, cette chronique circulait en Angleterre en latin et en français ; la traduction en anglo-normand, le français parlé en Angleterre, était toute récente. Selon cette version de l’histoire, lors de la campagne en Espagne, les hommes de Charlemagne avaient planté leurs lances en terre avant d’aller se coucher. Le lendemain matin, certaines de ces lances avaient fleuri : elles appartenaient aux chevaliers qui allaient connaître le martyre ce jour-là. L’arrière-garde, menée par Roland, le neveu de Charlemagne, est attaquée ; Roland refuse de sonner du cor pour appeler à l’aide avant que la situation ne soit désespérée et lui-même et ses hommes sont massacrés. On peut se poser la question du pourquoi de telles allusions dans une petite église paroissiale dont les fidèles, en majorité anglophones, ne pouvaient pas être supposés connaître une légende qui n’était pas encore traduite en anglais.

 

Il convient de souligner que la frise fait partie d’un programme iconographique plus étendu. L’artiste Christopher Barrett, dans un article publié en 2012 dans The Antiquaries Journal, interprète l’ensemble comme une représentation de la légende de la Sainte Croix. Si vous tournez le dos aux chevaliers combattants pour regarder la paroi sud de l’église, vous pouvez voir un motif végétal qui ressemble à la lance fleurie sur la frise de la paroi nord, mais qui ne se termine pas par une pointe. C’est donc probablement un arbre stylisé. Enroulé autour du tronc de cet arbre, nous discernons une forme ressemblant à un serpent : référence visuelle au récit biblique de la Chute de l’homme, tenté par le diable sous la forme d’un serpent. L’ange à gauche de l’arbre représenterait ainsi l’ange défendant l’accès du jardin d’Eden à Adam et Ève après la Chute. Barrett voit dans cette scène la représentation du début de la Légende de la sainte Croix, dans l’évangile apocryphe de Nicodème, où Seth, le fils d’Adam, est envoyé aux portes du paradis pour demander à Dieu un peu d’huile de l’Arbre de Pitié (ou Arbre de Vie) pour qu’il puisse en oindre son père mourant. L’archange Michel refuse, mais donne à Seth une branche de l’arbre. Cette branche prendra racine et deviendra un arbre à son tour, qui donnera le bois dont sera fait la Sainte Croix sur laquelle le Christ sera crucifié. On peut juste discerner un personnage à côté de l’ange à droite des tuyaux d’orgue, au-dessus de l’arche.

 

L’arche devant le chœur (là où se trouve l’autel) préserve quelques traces de peinture qu’il n’est plus possible d’interpréter, mais qui était probablement une scène de Jugement Dernier. Notez aussi au passage les grandes croix sur la paroi occidentale : ces croix étaient souvent ajoutées dans les églises médiévales pour marquer la reconsécration de l’édifice après d’importants travaux.

Faisons à nouveau face à la paroi septentrionale avec sa frise de chevaliers. Deux des empereurs que nous avons identifiés comme étant peut-être représentés par le guerrier portant un écu avec un aigle, Constantin et Héraclius, étaient particulièrement associés à la Sainte Croix. Selon la légende, sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin, avaient découvert la Vraie Croix ; tandis qu’Héraclius avait ramené la Vraie Croix à Jérusalem. Cette sainte relique devait tomber entre les mains du dirigeant musulman Saladin en1187, à la bataille de Hattin. Durant cette même campagne, Saladin s’empara, entre autres, de la Ville sainte, Jérusalem, provoquant ainsi la Troisième croisade. Les parois nord et sud peuvent ainsi se lire comme une allusion aux croisades, tout autant que comme une représentation allégorique du combat entre le Bien et le Mal. Les deux lectures se superposent du reste harmonieusement : dans certains textes médiévaux, les croisades sont emblématiques du conflit entre le Bien et le Mal.

Reste la question de pourquoi une petite église paroissiale du Shropshire s’est trouvée ornée de fresques si splendides. La réponse est que All Saints n’était pas une simple église paroissiale au Moyen Âge. Elle appartenait au collège royal de St Mary Magdalene, dans la ville Bridgnorth, peu loin de Claverley. Le château de Bridgnorth était une importante forteresse royale, où le représentant du roi, le sheriff du Shropshire, avait sa résidence. Des peintures comme celles de Claverley, de par les connotations idéologiques de leur programme iconographique, pouvaient servir de support à l’effort de recrutement et de collecte de fonds pour l’effort de croisade. Le roi Henri II d’Angleterre avait ainsi ordonné qu’il y ait dans chaque église un coffre pour la récolte de l’impôt destiné à financer la croisade. De plus, en 1199, le Pape Innocent III devait promulguer un édit semblable dans toute la Chrétienté.

Tournons notre attention vers les espaces entre les arches, sous la frise. L’historien de l’art David Parks, de la Courtauld Institute de Londres, y voit des scènes de la légende de sainte Marguerite d’Antioche. La jeune Marguerite avait refusé d’épouser son admirateur païen et fit face à la torture plutôt que de renoncer à la foi chrétienne. Dans sa prison, le diable essaie de tenter la jeune fille, sous la forme d’un dragon. Avalée par le dragon, Marguerite est sauvée par le signe de la croix, qui fait éclater le monstre. Une des peintures semble représenter la sainte émergeant des entrailles du dragon sous le regard de quelques anges. L’habit gris de Marguerite aurait été à l’origine d’un blanc éclatant, avec un pigment à base de plomb. L’autre peinture est en moins bon état, mais on peut clairement discerner une main tenant une croix.

En conjonction avec l’allusion possible à l’histoire du massacre de l’arrière-garde de Charlemagne, la représentation de la légende de sainte Marguerite donne aux fresques une unité thématique centrée sur le martyre, un programme didactique à l’intention des fidèles laïcs.

L’étage supérieur, avec sa claire-voie, est une addition du quinzième siècle. Comme le reste de l’église, nous y trouvons des peintures, mais plus typiques d’un contexte ecclésiastique que les chevaliers de la frise. Des figures de saints ou d’apôtres y sont représentées en groupes de deux.

En dessous de la remarquable frise aux chevaliers, sur les colonnes de l’époque normande, on peut voir des traces de peinture datant probablement de la fin du treizième siècle, représentant un saint ou un ange barbu. Sur le tronc des colonnes, il reste quelques traces de peinture ; des motifs de maçonnerie en pierre taillée destinés à rendre l’édifice plus impressionnant.

Pour les apprécier pleinement, les peintures murales de Claverley doivent être prises dans le contexte plus large de cette belle église paroissiale. Je vous encourage donc à admirer les monuments du Moyen-Âge tardif de l’édifice et la délicatesse du tracé des fenêtres, mais aussi les deux fonts baptismaux : l’un date probablement de l’époque Anglo-Saxonne, avant la conquête normande ; l’autre est normande, ou peut-être plus ancienne mais mise au goût du jour.

Pour davantage de renseignements à propos de Claverley ou sur la peinture murale au Moyen-Âge, vous trouverez à la fin de ce guide quelques références pour des lectures complémentaires.
Ce guide a été élaboré par le laboratoire de recherche ‘Charlemagne A European Icon’, basé à l’Université de Bristol et financé par The Leverhulme Trust.